J’ai récemment été interviewée par la journaliste Elsa Gambin pour un article paru sur telerama.fr intitulé « Données personnelles : comment accompagner son ado sur les réseaux sociaux ? », que l’on peut lire ici si on est abonné⋅e : https://www.telerama.fr/enfants/donnees-personnelles-comment-accompagner-son-ado-sur-les-reseaux-sociaux-6971638.php.

Quatre parents y témoignent des difficultés à accompagner leurs enfants dans leurs usages de TikTok, Instagram ou YouTube, avec plus ou moins d’aisance selon leur propre rapport au numérique, afin de leur apprendre l’importance de protéger leur vie privée et de préserver leurs libertés numériques. Ces témoignages sont très bien mis en perspective par les éclairages de Barbara Fontar, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Rennes 2, qui rappelle que les pratiques d’exposition / de mise en scène de soi sur les réseaux sociaux ne sont pas l’usage le plus fréquent qu’en font les adolescent⋅es – alors que les fonctionnalités de messagerie sont bien davantage utilisées – et que ce sont de véritables espaces d’autonomisation culturelle par la transition « d’une logique de filiation (parentale) à une logique d’affiliation (par les pairs) ».

Je vais me concentrer ici sur la dernière section de l’article, qui concerne plus particulièrement le traitement de cette question à l’Éducation nationale. Intitulée « Un sujet mal maîtrisé par l’Éducation nationale », elle s’ouvre sur ce constat de Barbara Fontar : « La question de l’éducation aux médias reste centrale, mais le terme est un peu fourre-tout. Ce n’est hélas pas une discipline en tant que telle, et dès lors que ce n’est pas considéré comme un savoir scolaire, quelle place lui est réellement accordée ? ». Je ne suis bien évidemment pas un expert de la question, mais en tant qu’observateur et parent je dois bien faire le constat que les interventions proposées dans les établissements pour sensibiliser les adolescent⋅es et/ou leurs parents sur ces réseaux passent trop souvent par une approche par les seuls risques (exposition, harcèlement, addiction), ignorant leur importance dans les pratiques informationnelles, communicationnelles et culturelles de ces adultes en construction :

Thierry Joffredo regrette quant à lui que « l’Éducation nationale soit plutôt dans une approche par les risques. Or toutes ces notions sont relativement intuitives pour les adolescents. Ils ne sont pas démunis, ils ont une véritable préoccupation sur le sujet ».

Lorsque j’ai dit cela, je pensais notamment aux travaux d’Anne Cordier, maîtresse de conférence en Sciences de l’information et de la communication, qui travaille sur les pratiques numériques juvéniles (voir son carnet de recherche sur la plateforme Hypothèses : https://cultinfo.hypotheses.org). Je vous renvoie à son ouvrage intitulé Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’informations, présenté sur cette page , ou à cet entretien publié sur le site du LINC, le laboratoire d’innovation de la CNIL.

Je reproduis ci-dessous in extenso le dernier paragraphe de l’article :

L’académie de Rennes a donc lancé une expérimentation visant à faire réfléchir et outiller les élèves sur la protection des données et la sécurité de leur vie numérique. Protéger sa navigation, désactiver les trackers, gérer ses mots de passe… Chaque petit geste qui paraît anodin a vocation à être expliqué. « On fournit un environnement numérique développé par l’académie, qui s’appelle Toutatice, un environnement de confiance pour les élèves et aussi les personnels », explique le responsable du pôle numérique. Nous voulons également proposer des alternatives à Google Drive et Zoom et en expliquer les bénéfices et les enjeux. » Avec, à terme, l’espoir que cela infuse au domicile et dans les pratiques quotidiennes des élèves comme des enseignants. Un petit pas pour l’Éducation nationale, un futur grand pas pour la sécurité numérique des adolescents ?

L’expérimentation dont il s’agit est celle de la mise à disposition des agents et élèves de l’académie d’un espace numérique personnel MyToutatice, qui permettra à l’élève de produire, d’agréger, de stocker et de partager toutes les données produites par lui ou pour lui tout au long de son parcours scolaire (productions en classe, attestations et diplômes, etc.) sous leur contrôle et à leurs propres fins, dans une perspective « self data » que nous cherchons à mettre en œuvre dans l’académie de Rennes depuis maintenant plusieurs années. Pour plus d’informations sur ce projet – qui est déjà en phase de réalisation, utilisé par plus de 3500 utilisateurs de Toutatice en Bretagne – vous pouvez consulter cette page de présentation ou consulter cette vidéo d’Olivier Adam (DSII académie de Rennes), intervenant sur le sujet au JRES en 2019.

Cet espace numérique personnel MyToutatice, motorisé par la solution Cozy Cloud, permet aujourd’hui de stocker et partager ses documents personnels, d’ouvrir des notes collaboratives partagées, et depuis peu de gérer ses différentes identités numériques grâce à un gestionnaire de mots de passe. Car c’est aussi en outillant les adolescent⋅es dans le cadre de leur vie scolaire et en les accompagnant sur les bons gestes de protection de leur vie privée et de maîtrise de leurs données personnelles que l’Éducation nationale, dans une approche complémentaire à celle de l’EMI, pourra contribuer à en faire des citoyen⋅nes éclairé⋅es. L’environnement numérique dans lequel nos collègues et leurs élèves travaillent se doit de proposer des services et des ressources numériques pertinentes pour à la fois soutenir les activités d’enseignement et d’apprentissage et « faire levier » dans la compréhension des enjeux liés aux libertés numériques. L’éducation au numérique ne doit pas se contenter d’énumérer des risques ou de pointer des pratiques adolescentes jugées problématiques, elle doit aussi nous donner des clés de compréhension des enjeux culturels du numérique, et nous fournir des moyens d’autonomisation et d’émancipation.

Merci à Elsa Gambin pour son article de grande qualité, et de m’avoir permis de m’exprimer sur ce sujet (et à @CryptoPartyRNS pour la mise en relation).